Un cavalier dans la nuit

Dans les vertes collines de Pinnath Gelin, un vent froid soufflait sur l'herbe mouvante. La Soleil sombrait doucement dans l'obscurité, après avoir enflammé une dernière fois la Morthond de ses feux. Tout était maintenant recouvert d'un voile gris et l'eau était d'argent, en cette heure froide qui précède le lever de la lune.
Nul son ne se faisait entendre, si ce n'était le souffle du vent, le murmure de la rivière et les jurons d'un cavalier malheureux.

« La peste soit de ces vieilles cartes ! » Grognait-il comme pour lui même en défaisant son paquetage dans la pénombre. Sa bête, un animal robuste mais court sur pattes, se reposait à quelques pas de lui. Edrahil était parti du campement caché dans les collines le matin même, mais sans connaître la route et sans compagnon, le trajet avait été beaucoup plus misérable qu'il ne l'avait prévu. Que son frère lui manquait en de tels instants ! Il se trouvait maintenant à l'ombre des montagnes, sur les berges de cette rivière que les hommes nomment Racine Noire. Et il ne savait que faire.

A l'aube, lorsqu'il avait quitté les siens maintenant en sécurité, tout lui semblait clair et simple : suivre la rivière jusqu'à ce qu'elle croise la vieille Route de Harad, là trouvait la trouée d'Erech, ou ancien passage des Morts, et passer à travers les Montagnes en Rohan. Bien sûr, on l'avait prévenu des dangers du Passage des Morts, bien que les fantômes en aient été chassés par le grand Elessar, mais n'était-ce pas le chemin le plus rapide pour entrer au royaume des Rohirrims ? Car à quelques lieux seulement d'Erech se trouvait Dunharrow, et plus loin Edoras, les deux forteresses des maîtres des chevaux ! Enfin, c'est ce que racontait cette vieille carte, parchemin jauni et moisi par les années, qu'il avait pu récupéré dans la fuite de Calenhir. On la disait datant du temps de Golasgil lui-même et il voulait bien le croire, car elle avait l'air très vieille. Une chance qu'il connaissait ses lettres !
Edrahil soupira. Il avait peu de nourriture, un peu de pain, de fromage, quelques fruits et, bien sûr, du poisson. Est-ce qu'il pouvait allumer un feu ? Il n'avait croisé personne – tous s'étaient réfugiés dans les collines. Mais n'y avait-il pas des orques ou des brigands dans les parages, qui pourraient ainsi le voir ? On lui avait donné une épée ébréchée et un bouclier aux armes du Gondor, à moitié fendu. Mais il avait sa lance, sa lance de pêche qui ne le quittait jamais, et il se sentait nettement mieux avec cette fière pointe à son bras qu'avec la lame abîmée de ses ancêtres. Qui n'étaient même pas ses ancêtres d'ailleurs, mais ce n'était vraiment pas le moment de se replonger dans la mélancolie de ses origines.

Dire que trois jours auparavant, il était encore en mer, sans jamais songer quitter la côte mais impatient du retour victorieux d'Elnarëg. Car Elnarëg ne pouvait que revenir victorieux et plein de gloire ? Et il aurait eu une grande fête et il aurait eu l'honneur de le servir à table. Le grand guerrier blond se serait alors écrié « Mon frère ! Mais assied-toi donc et laisse ce travail aux femmes. » et ils se seraient assis et ils auraient longuement parlé du soleil sur la Tour d'Ecthelion, car Elnarëg comprenait un peu ces choses-là.
Mais plus jamais son frère de cœur et de lait ne reviendrait couvert de blessures et de hauts faits de Belfalas ou des lointaines rives de l'Anduin. A cette pensée, le beau visage du jeune homme se couvrait de larmes, et c'est ainsi qu'il résolut de passer la nuit, enroulé dans sa cape et ses pleurs, sur les rives de Morthond la sombre.